Par Anna Benjamin, publié le 02/08/2016 à 17:43
Des politiques proposent l’instauration d’une “taxe halal” pour financer le culte musulman en France, un système calqué sur le modèle juif. Mais selon Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS, “on ne peut pas faire avec le halal ce que l’on fait avec le cacher”.
Comment financer le culte musulman en France sans qu’il ne dépende de pays étrangers? C’est la question qui agite le débat public alors que Manuel Valls a plaidé pour la fondation d’un “nouveau pacte avec l’islam de France” après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray. Une des idées soutenue par le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et des politiques de droite comme de gauche, comme Nathalie Kosciusko-Morizet, François Bayrou ou encore Benoît Hamon: instaurer une “taxe halal”.
Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS et à l’Institut de recherche et d’étude sur le monde arabe et musulman (IREMAM), explique à L’Express la complexité de la création d’une telle taxe.
Instaurer une taxe halal” pour financer le culte musulman est-elle une idée neuve?
Florence Bergeaud-Blackler. Non, Charles Pasqua est le premier à préconiser une taxe sur l’abattage en 1992. Dominique de Villepinavait ensuite proposé qu’elle finance la Fondation des oeuvres de l’islam en France (FOIF) qu’il a instituée. Mais ces propositions n’ont pas été suivies d’effets car les acteurs religieux et économiques n’y sont pas favorables.
Y a-t-il des exemples de mise en place d’une telle taxe dans d’autres religions?
L’idée d’un financement par la vente de viande halal est calquée sur le modèle juif de la cacheroute: un pourcentage est prélevé sur la vente de viande issue d’un abattage rituel. Il est redistribué pour payer les frais de contrôle et de certification et pour financer le culte israélite, aujourd’hui à hauteur de 30%.
Mais pour des raisons de procédures, économiques et historiques, on ne peut pas le faire avec le halal ce que l’on fait avec le cacher. La cacheroute est un système religieux multiséculaire très codifié de mise à mort de l’animal et de contrôle de la carcasse. L’Etat français a accordé un monopole de certification au consistoire israélite de Paris en 1971 parce que le principe d’une organisation centralisée de la cacheroute était déjà actée depuis 1806, sous le Concordat. Le marché du halal a, lui, été construit dans les années 1980 par des entreprises privées, selon des considérations marchandes et économiques, et, secondairement, religieuses. De plus, nous ne sommes plus sous régime concordataire.
Chez les juifs, les certifications cacher sont attachées à des autorités rabbiniques alors que les certificats halal sont vendus par des entreprises commerciales qui n’ont pas à rendre compte à une autorité religieuse. Car il ne faut pas confondre des agences commerciales de certification halal qui peuvent être créées par n’importe qui, un musulman ou même un non musulman, et l’agrément ministériel pour l’habilitation des sacrificateurs qui a été accordé par l’Etat à trois grandes mosquées (celles de Paris, d’Evry et de Lyon).
L’agrément permet seulement d’homologuer le personnel d’abattage et rapporte bien moins d’argent que la certification, qui est un véritable business détenu par une petite dizaine d’agences halal qui vendent ces certifications et décident elles-mêmes du cahier des charges du halal et des modalités de contrôle d’un marché estimé à 5,5 milliards.
Cette piste de financement ne vous paraît donc pas praticable et souhaitable?
Elle ne me paraît ni possible, ni souhaitable dans un Etat laïque. Instaurer une taxe sur ces agences privées de certification induirait une concurrence déloyale. Et à qui serait reversée cette taxe, comment serait-elle redistribuée, sur quelles bases? Les industriels de la filière viande y sont opposés car ils estiment qu’ils n’ont pas à rémunérer une mosquée puisqu’ils paient déjà des agences de certification halal.
Cela appuyerait ce mouvement consumériste religieux et l’extension du périmètre du halal. Surtout si comme Nathalie Kosciusko Morizet le propose, tous les produits labellisés halal sont taxés, c’est-à-dire aliments, cosmétiques, ou même hôtels halal. On oublie qu’il y a seulement vingt ans beaucoup de musulmans qui s’appuyaient sur un verset coranique estimaient qu’à l’exception du porc, toutes les viandes étaient licites aux musulmans.
Et puis il y a un problème de cohérence. Ces jours-ci, on entend surtout le gouvernement dire “on s’en occupe mais c’est à vous de le faire”. Mais ce n’est pas à l’Etat, qui ne peut légalement pas lever cette taxe, de s’occuper des affaires religieuses. Enfin, si l’objectif de cette taxe est d’éviter les financements étrangers, je ne vois pas en quoi l’augmentation des financements français dissuadera les mécènes étrangers de verser de l’argent aux religieux par un moyen ou un autre.
Mais pourquoi cette idée apparaît comme un serpent de mer depuis des années?
Le président actuel du CFCM, Anouar Kbibech, soutient cette idée qui séduit les politiques car ils la voient comme une solution miracle. Mais cette taxe semble surtout être une des dernières ficelles pour tenir un discours volontariste politiquement audible sur l’islam.
Alors comment financer le culte musulman en France?
La première chose est de savoir de combien d’argent a besoin l’islam en France. Aujourd’hui, il n’existe aucune étude sur le sujet même si l’on sait que dans certaines régions, confrontées à un accroissement de la population, il y a de vrais besoins de construction de mosquées par exemple. Mais c’est aux musulmans de se mettre d’accord. L’Etat essaye de forcer cette organisation depuis au moins vingt ans, sans succès. Il négocie avec des représentants des pays d’origine des populations musulmanes, et même si des efforts sont faits pour élargir le panel, je pense que l’Etat devrait se tenir à l’écart de telles initiatives et s’en tenir à faire respecter la loi. On n’a pas démontré que l’islam a un problème d’argent, mais il est avéré que les discours idéologiques et politiques prononcés dans certaines mosquées sont hors la loi. Le financement est en réalité un faux débat. Les vraies questions sont d’ordre idéologique, de la formation des imams et de l’éducation.
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