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Taxe sur la viande halal : une solution ou un problème ?

Entretien accordé à F.Desnoyers,  fait-religieux.com (27/2/2015)

F.D : Les pouvoirs publics évoquent la possibilité de financer les lieux de culte grâce à l’argent de la filière halal. C’est une proposition qui revient régulièrement dans le débat public…

F. B-B : Oui, la solution d’un financement par la viande halal avait été évoquée par M.Valls, un peu dans la précipitation, quelques jours avant le plan de «communication sur le dialogue avec l’islam de France» que vient de dévoiler M.Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur. Celui-ci n’évoque plus le financement mais le dossier halal reste dans le viseur, l’abattage rituel est d’ailleurs un des chantiers prioritaires pour la nouvelle instance de dialogue.

Cette idée d’un financement du culte par la vente de viande halal est un serpent de mer qui émerge tous les trois ou quatre ans, cela a commencé avec Charles Pasqua en 1994, puis plus récemment Nicolas Sarkozy ou Dominique de Villepin. Quand on a un problème avec l’islam radical, on l’attribue à l’étranger, on imagine que l’argent français fabriquera un « islam domestique », et on commence à évoquer le marché halal.

Pourtant, qu’est ce qui permet de penser que de l’argent français tarirait les flux étrangers ? Cela fait des décennies que des responsables musulmans de France visitent les monarchies du Golfe pour assurer le financement de lieux de culte français, la « générosité » des donateurs n’est pas sans contrepartie, cet argent permet de diffuser une idéologie religieuse compatible avec le wahhâbisme. Même si l’islam français était correctement doté, les pays du Golfe, notamment, ne renonceront pas à financer des idéologies religieuses sur le sol français.

Quelle pourrait être la place du halal dans le mécanisme de financement ?

La solution d’un financement par la viande halal parait idéale parce qu’elle n’implique aucune intervention de l’Etat, pas même, comme cela est suggéré, un moratoire sur la loi de séparation 1905. Il suffirait d’activer la pompe à finance, imposer une taxe religieuse sur le kilo de viande halal, et cela créerait un financement endogène, constant et inépuisable : l’argent sortirait du porte monnaie d’un musulman pour être réinvesti dans le culte etc. On se représente le marché halal un peu comme « une poule aux oeufs d’or » : point n’est besoin du coq national, elle produit seule, et en plus c’est bon pour l’économie. Cette idée est calquée sur le modèle de la Cacherout qui pour partie finance le culte israélite.

Pourquoi cela ne serait-il pas viable pour le halal ?

Sur le plan économique les modèles halal et cacher sont très différents. La surveillance alimentaire rabbinique est d’origine artisanale et a été organisée avant la révolution industrielle pour assumer financièrement l’isolement social des communautés de la diaspora juive. Si l’on excepte quelques cas très localisés préindustriels où les musulmans étaient organisés en diaspora, comme chez les Hui de Chine par exemple, le marché halal tel que nous le connaissons en Europe est né au stade industriel il y a quelques dizaines d’années. Les premiers certificats halal ont été produits par l’industrie de la viande des pays non musulmans, dans les années 1980, en s’appuyant sur des garanties de simples employés musulmans ou, pour les gros contrats d’exportation, sur celles des ambassades des pays importateurs. Pour le dire brièvement, le halal n’est pas contrôlé par des autorités religieuses, mais par des marchands.

A qui revient l’argent de la certification halal aujourd’hui et quels sont les liens entre institutions religieuses et certification halal ?

L’argent du halal revient encore majoritairement à l’industrie. Mais aussi à une catégorie hybride à la fois marchande et religieuse : l’agence de certification, une entreprise commerciale privée qui vend de la garantie religieuse. Il y en a deux types : les agences qui vendent des certificats, et les agences de contrôle qui assurent, en plus, un contrôle continu. Parmi la dizaine d’agences indépendantes, les quatre acteurs majeurs du marché de la certification en France sont la Société française de contrôle de viande halal (SFCVH) qui dépend du rectorat de la Grande mosquée de Paris, l’Association rituelle de la Grande mosquée de Lyon (ARGML), l’Association Culturelle des Musulmans d’Ile-de-France (ACMIF) qui est liée à la mosquée d’Evry et AVS (A votre service) qui s’affiche comme indépendante, mais qui est plutôt de sensibilité Frères musulmans.

Ces organismes de contrôle halal sont pour certains liés à des mosquées, mais ce sont des entreprises marchandes qui vendent des garanties qu’elles élaborent elles-mêmes. Elles ne sont pas des acteurs religieux au sens strict, en revanche elles sont des « agents » religieux producteurs de discours sur l’éthique religieuse, sur la norme islamique, sur l’islam dans la société, qui dans certains cas prend des colorations religieuses particulièrement conservatrices et intégralistes.

Sur le marché de la certification, il faut se distinguer pour gagner, ce qui amène les concurrents à adopter des normes plus strictes présentées comme islamiques, en piochant tel verset du Coran ou tel hadith. Cette surenchère vient du fait que les clients confondent souvent authenticité et sévérité de la norme, ils sont rassurés par un contrôleur qui a les attributs religieux même s’il n’en a pas la formation, longue barbe, durillon sur le front, parce que ce qui importe c’est la marque « halal». Toute cette spécialisation, les codes du « halal way fo life », tout cela est très récent et assez inquiétant, parce que c’est un phénomène mondial, massif et convoité par de grandes multinationales.

L’argent de la certification peut-il financer le culte ?

En France, la vente de certificats halal est devenue une activité rentable et profitable, tel n’était pas le cas il y a quinze ans. Les clients font désormais pression sur les industriels français et exigent des garanties. Les agences de certification avec des associations de « consommateurs musulmans », la presse musulmane, les sites et forums sur internet ont réalisé un travail de « conscientisation du halal », halal awarness comme on dit en anglais, pour rendre les consommateurs plus exigeants, plus méfiants… et ainsi renforcer leur rôle de surveillance. Aujourd’hui la totalité des bénéfices s’élèverait à quelques centaines de milliers d’euros, ce qui serait très insuffisant pour financer les besoins en milliard d’euros annoncés par le CFCM. Néanmoins on peut imaginer qu’à terme, si le marché se stabilise, une agence de certification pourrait faire suffisamment de bénéfices pour financer une mosquée, une école, du personnel etc.

Donc le halal ne peut pas financer le culte, mais peut financer des idéologies religieuses…

Absolument. Des bloggeurs, des groupes de consommateurs musulmans qui travaillent et des agences de certification on d’ailleurs commencé  leur travail de « conscientisation du halal » auprès des consommateurs de pays musulmans pour inciter ces derniers à faire pression sur les industriels exportateurs, et à choisir telle agence de certification. Il s’agit parfois de contrats de millions d’euros ! Par ce biais les pays importateurs peuvent agir sur le champ religieux musulmans en France. Le business du halal, après avoir été très idéalisé, donne des cauchemars à ces industriels qui ont peut être joué avec le feu, car dans ce business on finit toujours pas trouver plus halal que soit. On comprend pourquoi le halal n’est non seulement pas une solution de financement mais peut devenir un problème… La solution réside dans l’éducation pour endiguer ce mouvement de clôture de l’espace alimentaire musulman. Les ressources intellectuelles de l’islam sont suffisamment importantes, pour enrayer ce mouvement néo-libéral de consumérisme religieux. Ce devrait être un chantier prioritaire pour la nouvelle instance de dialogue.

Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, chargée de recherche au CNRS, à l’Institut de Recherche et d’Etude sur le Monde Arabe et Musulman, auteur de nombreuses publications sur le halal, son dernier ouvrage Les Sens du Halal, Paris, éditions CNRS, est à paraître en 2015.

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