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Sous la question de la viande halal, celle de la traçabilité, le problème n’est pas culturel m


Point de vue | 

29 Février 2012 par Florence Bergeaud-Blackler

On prête à Gandhi l’affirmation suivante : “La grandeur d’une nation et de son progrès moral peut être jugée à la façon dont elle traite ses animaux.”

Cette belle idée sert aujourd’hui de fer de lance dans la guerre du plus civilisé que se mènent les groupes “identitaires”. Cela fait quelques années déjà que ceux-ci essaient de rejouer le conflit des civilisations autour de l’abattage des animaux. Les identitaires “laïques” affirment que l’augmentation des abattages halal est le signe d’une “islamisation de la République”. Les intégristes chrétiens insistent sur la souffrance des animaux abattus selon les méthodes qu’ils qualifient d’“archaïques”des juifs et des musulmans. Les musulmans radicaux s’effraient de la cruauté des méthodes d’“assommage” de l’abattage conventionnel. Chacun craint la barbarie de l’autre.

Le problème de l’abattage rituel n’est pourtant pas culturel mais économique. S’il faut en effet refuser d’aller sur le terrain culturel du Front national, il ne faut pas nierqu’il existe un problème de traçabilité dans les abattoirs, dont les causes économiques ont des implications éthiques et politiques. Les autorités françaises sont au courant de ce problème depuis de nombreuses années et ont été alertées dès 2005, chiffres à l’appui, par un rapport du Comité permanent de coordination des inspections (Coperci) intitulé “Enquête sur le champ du halal”.

J’observe depuis cinq ans une radicalisation des positions des organisations de protection animale, et notamment de celles qui n’ont pas de lien historique avec l’extrême droite. Elles ont été exaspérées par les promesses non tenues du candidat Nicolas Sarkozy en 2006, lequel avait promis qu’il prônerait la généralisation de l’étourdissement préalable à l’abattage. Cette radicalisation, et les excès auxquels elle a pu conduire (comme cette campagne d’affichage refusée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité au motif qu’elle pouvaitchoquer une partie du public), ne doit cependant pas faire oublier que l’industrialisation et la massification de l’abattage halal posent un réel problème de souffrance animale.

En effet, pour ce type d’abattage, effectué en France sans étourdissement préalable en vertu d’une dérogation, les abattoirs doivent utiliser des moyens de contention spécifiques et ralentir les cadences d’abattage. Or, dans une industrie tayloriste comme l’abattoir, le temps c’est de l’argent, et il arrive que ces mesures de précaution ne soient pas mises en oeuvre correctement parce qu’elles fontperdre trop de temps et donc trop d’argent.

Pour satisfaire leurs commandes de viandes rituelles et non rituelles, il est fréquent que certains abatteurs abattent la totalité d’un lot d’animaux en mode rituel pour n’en écouler qu’une partie dans les circuits de distribution religieux, le reste étant orienté vers des circuits conventionnels. Dans un rapport de la direction générale de l’alimentation du ministère, publié par Bulletin de l’Académie vétérinaire de France en 2008, il apparaissait que sur le territoire national 32 % des animaux étaient mis à mort selon un procédé rituel. Les exportations résiduelles n’expliquent pas seules l’écart de ce chiffre avec une demande religieuse estimée à 7 % de la population française.

Le responsable de ce supplément évitable de souffrance animale n’est pas le rituel musulman mais son industrialisation et la course à la rentabilité dans un contexte très compétitif qui amène à produire en rituel plus que nécessaire, et plus vite que ne l’autorise la réglementation.

Ce problème ne se pose pas qu’en France, il existe en Belgique, au Pays-Bas ou encore en Espagne et, dans un marché unique, il concerne toute l’Union européenne. Des parlementaires européens ont exigé une traçabilité pour toutes les viandes rituelles halal et cachère afin que soit précisé le mode d’abattage sur les barquettes de viande. Il s’agit de faire pression sur l’industrie par l’intermédiaire de la vigilance du consommateur.

Mais les industriels ne veulent pas de traçabilité et pèsent de tout leur poids auprès du Conseil de l’UE pour éviter qu’une telle mesure soit prise, reprenant l’argument avancé par les rabbins européens qui craignent qu’une telle mention ne stigmatise les communautés juives. Les rabbins rappellent à raison que les attaques contre lashehita (l’abattage rituel juif) ont été les premières mesures prises par les antisémites dans les périodes sombres de l’histoire européenne.

Le problème du non-respect des réglementations dû à l’absence de traçabilité des carcasses est économique, et son traitement n’est pas culturel mais politique. Derrière le refus de “manger du rituel sans le savoir”, il n’y a pas seulement une crispation identitaire ou une extrême droitisation d’une frange de la population. Il y a aussi l’affirmation d’un droit citoyen à exercer un contrôle sur ce qui est acheté et consommé.

Depuis la série de crises de sécurité alimentaire (encéphalopathie spongiforme bovine, OGM, dioxine, grippe aviaire) qui a marqué les années 1990, on a demandé aux mangeurs d’être des “consommateurs citoyens”, d’exercer leur vigilance sur la base d’étiquetages flattant les appartenances, les terroirs, les régions ou les nations comme s’il y avait un lien entre sûreté alimentaire, proximité et origine.

La réponse gouvernementale à la crise de l’ESB a consisté à transférer sa responsabilité vers celle du consommateur en favorisant l’information par des filières “qualité” via les mentions nationales, comme “Viande bovine française”, et d’autres schèmes de certification privée d’origine ou de tradition.

Parallèlement, le gouvernement a diminué les contrôles directs dans les abattoirs. La privatisation du contrôle a demandé, et effectivement induit, un changement d’attitude des consommateurs qui sont passés d’une confiance passive dans les organismes d’Etat à une défiance active vis-à-vis des étiquettes et des marques.

Ne faudrait-il pas à présent que l’Etat assume cette libéralisation et qu’il joue le jeu de la transparence et garantisse une information alimentaire fiable ? N’est-il pas temps d’informer sur la base du procédé de fabrication plutôt que de s’en tenir àfavoriser des informations publicitaires sur l’origine ou de l’identité ?

Les viandes rituelles, comme tous les aliments qui font l’objet d’un processus significativement distinct de fabrication, devraient être tracées et identifiables de la même manière que les produits bio. La traçabilité ne sépare pas, elle éclaire les choix que nous sommes obligés de faire sur la base du travail réalisé sur les produits et non sur de chimériques différences identitaires.

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