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« Le terroir du "halal business", c’est le monde »


« Le terroir du “halal business”, c’est le monde »

Chercheuse à l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) d’Aix-en-Provence, Florence Bergeaud-Blackler est l’auteure de l’ouvrage « Comprendre le halal »*. Pour Saphirnews, elle revient sur l’actualité française croustillante du halal et nous livre son expertise sur l’industrialisation et la mondialisation du marché du halal.


Saphirnews : Quelle est votre opinion sur la récente affaire des Knacki Herta halal à la volaille contenant des traces d’ADN de porc ? Florence Bergeaud-Blackler : Cette affaire n’est pas étonnante. Il n’existe pas de référentiel halal ni d’organisme de contrôle des certifications halal. On peut donc parfaitement certifier un produit sans le vérifier. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a déjà fait quelques trouvailles de ce type, mais la loi sur les fraudes et les tromperies des consommateurs n’est pas appliquée. Les services publics invoquent qu’il s’agit de produits religieux, mais cela n’est pas acceptable. La pénalisation de la fraude doit se fonder non pas sur la nature ou l’origine du produit, mais sur le fait qu’il y a une inadéquation entre le contenu du produit et ce qui est affiché. Il en va de la protection des consommateurs. Ce qui est en cause, c’est l’absence de consensus sur une définition industrielle du halal. Il faut se retourner vers les religieux, qui ne font pas leur travail pour faire émerger une norme, et vers les pouvoirs publics, qui, pour protéger l’industrie alimentaire, n’encadrent pas correctement l’abattage rituel. Mais il faut aussi reconnaître que la question est complexe et que le marché croît a une allure hallucinante…


Peut-on parler de mondialisation du secteur halal ? Fl. B.-B. : Le halal ne s’est pas mondialisé. C’est l’inverse qui s’est produit, car le terrain naturel du halal business, c’est le monde. C’est parce qu’un modèle de mondialisation libérale de la consommation s’est imposé que le halal a pu se développer. Tout produit halal est une version islamique d’un produit local, il n’a pas de pays, pas d’origine, pas de couleur. Le halal est une garantie que le produit a été fabriqué dans des conditions qui excluent tout contact avec du porc ou de l’alcool, et s’il s’agit d’un produit carné que les animaux ont été abattus selon le rite. Mais des rites, il y en a beaucoup ! Le marché du halal est une invention marketing, qui embarrasse beaucoup les autorités musulmanes qui n’y retrouvent pas leurs petits… En France, la conception maghrébine malikite, beaucoup plus tolérante sur le halal, s’est imposée. L’essentiel était d’éviter la viande de porc et de ne pas consommer de l’alcool en public. Le verset selon lequel la viande des Gens du Livre est licite a permis pendant de nombreuses années de consommer ou d’être peu vigilant vis-à-vis de la viande non sacrifiée. Aujourd’hui, la concurrence internationale privilégie les conceptions plus étroites comme celle de la Malaisie selon le principe de « qui peut le plus peut le moins », on garde la méthode qui peut satisfaire les plus exigeants. Les musulmans français ne sont pas équipés ni techniquement ni légalement pour procéder aux contrôles exigés par ce type de certification !

Qu’en est-il du marché de la certification en France ? Quelles différences y a-t-il avec les autres pays et pour quelles raisons ? Fl. B.-B. : Le marché de la certification en France est compétitif et hétérogène. Il n’est pas efficient, car il souffre de l’absence d’organes de contrôle par les agences de certification. Les industriels s’en contentent, car les consommateurs certes se plaignent… mais ils achètent ! Pourquoi changer les règles du jeu d’un marché florissant ? Seuls les consommateurs peuvent se mobiliser pour faire valoir non pas tant leurs droits religieux que leurs droits de consommateurs à être informés et protégés des fraudes. Pour cela, il faudrait qu’ils veuillent être informés, qu’ils voient en face que les tromperies dans le secteur n’ont pas nécessairement un fondement raciste ni islamophobe. Celles-ci ne sont que le reflet d’une asymétrie de l’information et d’une exploitation d’un agent économique captif par des firmes obsédées par la compétition mondiale. Que les consommateurs de halal deviennent plus exigeants et plus critiques vis-à-vis des acteurs économiques et religieux, qu’ils rallient des associations de consommateurs, y compris laïques, et ils auront des chances de peser dans le débat, de participer à la décision sur le contenu de ce qu’ils achètent et mangent. La charte du CFCM devait être signée le 23 janvier… Fl. B.-B. : Au-delà du débat sur la certification, la polémique qui vient de naître à la suite de la mise en garde de l’UOIF vis-à-vis de la charte halal proposée par le CFCM révèle le positionnement historique des principales organisations musulmanes de France sur la question du halal et montre enfin le décalage existant entre les préoccupations des musulmans de France et les instances supposées les représenter. Cette charte est une première ébauche encourageante. Mais elle n’est, en l’état, ni économiquement ni politiquement réaliste. Son intransigeance vis-à-vis de l’étourdissement ne tient pas en compte les progrès techniques, les conséquences économiques, les souffrances animales dans un contexte de production massive, où la protection animale n’est plus assurée correctement par la puissance publique. Il vaudrait mieux, à mon avis, laisser cette question à l’appréciation de ce Comité national de la charte halal du CFCM (CNCH), que la charte propose de mettre en place. L’autre faiblesse de la charte réside dans l’absence de remise en question du monopole accordé aux trois Grandes Mosquées (Paris, Evry et Lyon). On ne peut pas à la fois vouloir une refonte totale du système et fonctionner avec des agréments dont les motivations et les conséquences restent troubles. Une charte qui ne casse pas le monopole de l’habilitation des sacrificateurs a, selon moi, peu de chances d’aboutir.

(cet entretien accordé à saphirnews a également été publié dans le mensuel salamnews, Fevrier 2011)

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