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La “taxe halal” de NKM




(Version intégrale de l’extrait de l’entretien accordé à Marianne, publié le 20 Mars 2016 dans Marianne.net)


Entretien réalisé par Jérémy Collado pour Marianne.net

Sur quoi se base Nathalie Kosciusko-Morizet pour justifier sa proposition de taxe halal ? Est-ce vraiment nouveau ?

Nathalie Kosciusko-Morizet propose de taxer les produits halal pour constituer une cagnotte régulièrement approvisionnée pour le culte musulman et éviter ainsi le recours à des financements étrangers. Le principe n’est pas nouveau, Charles Pasqua avait préconisé la solution d’une taxe sur l’abattage, Dominique de Villepin avait proposé qu’elle finance la Fondation des œuvres de l’islam en France (FOIF) qu’il a instituée. NKM apporte sa touche en élargissant l’assiette du « prélèvement » qui inclurait tous les produits labellisés halal quels qu’ils soient.

Cette idée semble-t-elle réaliste selon vous ?

Son idée, c’est une contribution de 1% sur un marché de 6 milliards qui rapporterait 60 millions d’euros par an. Ce 6 milliards est une révision à la hausse d’une  estimation de la consommation alimentaire des ménages identifiés comme musulmans, une estimation faite par le cabinet privé Solis en 2010 (5,5 milliards). Ce chiffre ne correspond pas du tout aux seuls produits qui portent un label halal, et il inclut également les produits importés.

Si l’on vous suit, ça n’est ni viable, ni souhaitable ?

Dans son principe, ce n’est pas absurde. Mais lorsqu’on connaît les dynamiques de ce marché très largement créé par les industriels pour pouvoir exporter vers les pays musulmans, on s’aperçoit qu’une telle solution n’est pas viable. Il n’y a pas de réglementation publique de la norme halal, et les autorités religieuses, prises dans des enjeux de représentativité, n’ont pas réussi à s’entendre sur une norme… même si le CFCM annonce depuis plusieurs années la sortie imminente de sa charte halal. De plus les pays musulmans importateurs ont aussi leurs exigences en matière de contrôle.

S’il n’y a pas de charte halal, cela veut dire qu’il est très difficile de contrôler ce secteur ?

Oui. Il résulte de cette situation une opacité généralisée, aggravée par le fait que sans norme halal de référence, les services de la répression des fraudes ne peuvent pas faire leur travail de contrôle. Les industriels soutiennent le principe d’une norme halal AFNOR, parce que cela leur donnera une crédibilité sur le marché international, mais en même temps ils ne veulent pas étiqueter les viandes issues d’abattage rituel que réclament ceux qui ne souhaitent pas manger de viande rituelle. Tout cela pour vous dire que le simple fait d’identifier les produits halal pose problème, alors les taxer de surcroit …

Est-ce un bon moyen de financer l’islam de France, comme le prétend Nathalie Kosciusko-Morizet ?

Il y a plusieurs problèmes. Si l’Etat prélevait directement une taxe, ce pourrait être considéré comme une entrave à la liberté de circulation des marchandises. S’il accordait à la FOIF le pouvoir de prélever cette taxe, il se poserait le problème de la redistribution, on pourrait lui reprocher de financer indirectement un culte, de s’ingérer dans les affaires cultuelles. Un autre problème est que les industriels estimeront qu’ils n’ont pas à rémunérer le culte car ils paient déjà des agences de certification halal privées. Les industriels se sont exprimés très souvent à ce sujet et notamment avec cette formule politiquement dévastatrice « nous ne paierons pas l’impôt islamique ».

Pour vous, est-ce une proposition “communautariste”? 

Il n’est pas faux en effet de dire que que cette proposition est « communautariste ». En parlant de taxer tout ce qui est labellisé halal, NKM valorise indirectement une conception du halal très large qui inclut les produits halal non carnés, pourquoi pas les hôtels et le tourisme halal, ce qui est une manière de reconnaître et d’accompagner l’extension du périmètre du halal. Cette extension est voulue par le marketing islamique et par les courants « puristes » du halal qui transforment le licite en pur. Cette conception du halal qui vient de Malaisie et se répand dans le monde considère que les procédés de fabrication, les produits, les environnements doivent être indemnes de substances « impures ». Les musulmans sont incités à se méfier de tout. L’autre problème plus direct d’une telle incitation est qu’il peut accentuer le contrôle social entre musulmans. Car si manger halal c’est financer le culte, ne pas manger halal signifie que l’on ne participe pas à la vie de la communauté… D’une affaire individuelle et privé en principe, on fait une affaire collective, communautaire, publique et politique… Le halal peut devenir un problème plutôt qu’une solution.

Avons-nous d’autres exemples pour d’autres religions en France ? Y’a-t-il par exemple une taxe casher qui fonctionne pour le judaïsme ?

Oui absolument, la surveillance de la cacherout a toujours financé en partie le culte israélite, c’est un système rabbinique originellement pré-industriel. Le système centralisé que l’on connaît aujourd’hui qui permet aux consistoires de prélever un contribution au culte a été mis en place durant la période concordataire, durant laquelle l’Etat pouvait intervenir très directement dans les affaires religieuses. Mais tous les juifs ne respectent pas la cacherout.  La taxe sur l’abattage, et la surveillance des produits est très élevée. La liberté de circulation des produits, et la concurrence d’autres garanties rabbiniques fragilisent le système et donc les revenus du culte.

Pour vous, est-ce à chacune des religions de financer son propre culte ?

Sans aucun doute.

Alors comment financer l’islam de France ? 

Cette question n’est pas neutre. Le culte musulman doit trouver des solutions pour se financer, ce n’est pas à l’Etat de lui tenir la main. Le problème de l’islam est d’ordre intellectuel plutôt que financier. Les courants réactionnaires et fondamentalistes dominent ses instances dirigeantes en France et ils ont pris une place très importante dans les écoles coraniques et dans les centres de formation islamique comme l’a montré un rapport sur l’enseignement religieux musulman en France. Ils vont chercher l’argent là où il se trouve, et notamment dans les pays du Golfe qui bien sûr  cherchent à diffuser leur conception de la religion. Pourquoi imaginer que de l’argent français les dissuaderait de continuer comme ils ont toujours fait ?  On ne prête qu’aux riches…

Alors que pouvons-nous faire ?

En réalité pas grand chose d’autres que de former des citoyens qui s’éloigneront de cet islam qui n’est qu’une version certes puissante financièrement mais très pauvre intellectuellement. Nous devons respecter nos valeurs collectives sans exclusive et sans état d’âme. Manger ensemble, ne pas accepter de table séparée, est quelque chose qu’il faut absolument soutenir, cela fait partie de notre modèle, de notre histoire commune. Pour l’organisation de leur culte, les musulmans de la société française doivent compter sur eux et le plus urgent est sans doute de cesser de leur trouver des solutions…

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