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"L’accommodement raisonnable" est-il applicable au halal dans les cantines scolaires

L’accommodement raisonnable est-il applicable au halal dans les cantines scolaires ? (Réflexions à partir d’un débat publié dans la presse belge).

Dans l’interview accordée au Soir (Belgique) le 21 octobre 2010 (lire), Eliane Deproost, Secrétaire générale du Centre d’Action Laïque (CAL) à Bruxelles, réaffirmait sa volonté de bannir tout signe distinctif et

« convictionnel » des écoles, ainsi que les  pratiques qui, à l’instar du halal,  servent selon elle  « les seuls droits d’une minorité » et renforcent « le repli communautaire ». Elle proposait un menu alternatif, de type végétarien qui répondrait selon elle « aux attentes du plus grand nombre ».

A la mise en place d’un minimum acceptable par tous,  Musa Saygin du think tank Vigilance musulmane opposait dans sa carte blanche du 24 novembre 2010 (lire) le principe  d’ « accommodement  raisonnable » selon lequel l’égalité est obtenue non par l’égalité de traitement mais par l’abolition des pratiques discriminatoires.

La compréhension du concept d’ « accommodement raisonnable » nécessite d’accepter l’idée contre-intuitive selon laquelle un traitement différentiel peut amener à une situation d’égalité. On y arrive en posant qu’une situation discriminatoire est le résultat d’un traitement inégalitaire. Dès lors que cette discrimination a disparu, on peut alors considérer que le traitement est rendu égalitaire.

Le principe d’accommodement raisonnable  est ici convoqué par le think tank musulman pour proposer la généralisation de  l’offre de menus halal dans les cantines scolaires. Son raisonnement – qui s’appuie sur le Décret belge de 1997 définissant les missions prioritaires de l’Enseignement Fondamental et de l’Enseignement Secondaire – est le suivant : l’organisation d’une offre de cantine ne relève pas des missions de l’enseignement officiel,  le respect de neutralité suggéré par le CAL ne peut donc pas être invoqué. En conséquence, les demandes alimentaires spécifiques peuvent  et doivent être prises en compte « dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination ».

Pour Vigilance musulmane le principe d’accommodement raisonnable pourrait être appliqué en vertu de trois conditions : que l’on prenne en considération les « ressources disponibles pour l’organisation du service » ; que l’on garantisse «les droits et libertés d’autrui » ; que l’on garantisse  « la continuité du bon fonctionnement de l’institution ». Le problème est qu’appliquée au halal, le think tank ne pose que deux conditions : celle de la bonne organisation de l’activité scolaire, celle du droit des élèves non-musulmans de choisir d’autres menus, et il ne donne réponse qu’à cette dernière, de façon bien peu convaincante, en  affirmant de façon péremptoire :« ce droit n’est pas de nature à priver d’autres élèves du droit de consommer une nourriture de leur choix également ». Cela reste à vérifier.

Si en effet, on peut penser comme le fait Musa Saygin que le choix du CAL d’un menu végétarien n’est pas plus neutre qu’un autre choix particulier (celui du halal, du casher, ou même du bio), et qu’il peut être inégalitaire par discrimination,  l’accommodement proposé ne me parait pas pour autant raisonnable dans son application. Je crois en effet que la mise en pratique de l’accommodement raisonnable se heurte parfois à sa logique propre, car lutter contre une discrimination peut aboutir à un accroissement des inégalités sociales. Explication à partir du cas du marché halal belge.

Aujourd’hui, les produits halal sont fabriqués et contrôlés par des industriels qui utilisent des certificateurs dont les liens avec des institutions religieuses ne sont pas avérés. La plupart des organisations religieuses protestent d’ailleurs vigoureusement pour dénoncer les « fraudes massives» qui concerneraient l’immense majorité des produits halal commercialisés.  Le marché de la certification halal lui-même ne fait l’objet d’aucun contrôle : les nombreux certificateurs  s’autoproclament. C’est cette situation qui permet aux industriels de produire du halal à bas coûts et à prix abordables pour ceux qui les achètent, en l’occurrence des populations musulmanes qui comptent parmi les plus pauvres des populations urbaines de Belgique[1]. De plus, pour maintenir des prix bas certains producteurs généralisent l’abattage rituel pour la production de viandes dont une partie est commercialisée dans des linéaires conventionnels sans étiquetage, répartissant leurs coûts sur l’ensemble de la population. On a donc deux cas de figure, soit les contrôles sont faibles et peu onéreux, et on peut s’interroger sur le sens qu’il y aurait a servir du halal qui, selon les autorités religieuses elles-mêmes, n’en serait pas.  Soit on  opte pour une séparation stricte du halal et du non halal de la fourche à la fourchette contrôlée par des certificateurs rigoureux et alors les prix grimpent très significativement. Les cantines scolaires devraient investir dans une organisation coûteuse pour éviter les « contaminations  alimentaires ». Selon la logique de « l’accommodement raisonnable », il ne pourrait être question de faire payer aux non-musulmans cette organisation parallèle. Les cantines auraient alors deux choix: soit abaisser la qualité (et les élèves mangeront mal des menus déséquilibrés), soit augmenter les prix et l’on crée alors une inégalité d’accès à la cantine.

En d’autres termes, si un accommodement est toujours raisonnable en théorie, il peut avoir des effets contre productifs. L’exemple des menus halal à l’école montre que la lutte contre les discriminations n’est pas toujours un moyen de parvenir à une égalité de traitement, et quand il l’est, il est insuffisant à la produire. Il peut même parfois générer d’autres sources d’inégalités : ici d’accès à une nourriture qualitativement maitrisée et abordable.

Dans l’entretien accordé au Soir mis en parallèle à celui d’Eliane Deproost le 21 octobre 2010 (lire), je préconisais plutôt l’ouverture de débats sur cette question à partir des conditions pratiques de la production de ces aliments.  Les consommateurs citoyens, religieux ou non, ont des droits à l’information, ils doivent être éduqués pour comprendre cette information et évaluer ensemble les coûts des choix individuels et collectifs qu’ils font. L’Etat, ce bien public, ne doit pas être le seul à accommoder et moins encore lorsqu’il a affaire à des composantes qui, pratiquement, refuseraient de le faire. Les religions, elles aussi, peuvent être raisonnables.

 

[1] Andrea Rea et Marc Swyngedouw, Bruxelles ville ouverte , L’Harmattan, 2007

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