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Financer le culte musulman par la viande halal ?


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Financer le culte musulman par la viande halal ?

TRIBUNE

Après les attentats de janvier 2015, Manuel Valls a annoncé, mi-février, le lancement d’une consultation destinée à «poser toutes les questions» sur le financement du culte musulman. On a vu resurgir, tel le serpent de mer, cette idée aussi séduisante que fausse, d’un financement du culte par la viande halal. Je voudrais expliquer, brièvement, pourquoi cette piste ne me paraît ni praticable ni souhaitable.

L’idée d’un financement par la vente de viande halal est calquée sur le modèle juif de la cacherout : un pourcentage est prélevé sur la vente de viande issue d’un abattage rituel et redistribué pour financer des activités religieuses. Peut-on faire avec le halal ce que l’on fait avec le cacher ? La réponse est négative, car les modèles historiques et économiques sont différents. Le système de financement rabbinique a été mis en place bien avant la révolution industrielle pour assumer financièrement la ghettoïsation des diasporas juives. Le marché halal est né au stade industriel dans les années 80 sur la base de garanties de simples abatteurs musulmans ou sur celles des ambassades ou superviseurs dépêchés par les Etats importateurs. Les certifications cacher sont attachées à des autorités rabbiniques alors que les certificats halal sont vendus par des entreprises commerciales qui n’ont pas à rendre compte à une autorité religieuse. Il découle de cette histoire récente que si le concept «halal» se rapporte au domaine intellectuel de l’islam, sa version industrielle a été mise au point par des marchands et, qu’en conséquence, le «marché halal» appartient, en grande partie, à ces derniers. Et ceux-ci n’ont aucune intention de reverser «une taxe» au culte musulman.

En France, les principaux bénéficiaires de ce marché de la garantie halal sont les industries alimentaires qui s’autocertifient et une dizaine d’«agences de certification halal» spécialisées. Liées ou non à des grandes mosquées, ce sont toutes des entreprises marchandes qui vendent des garanties qu’elles-mêmes élaborent, à la fois juges et parties. Ce ne sont pas des autorités religieuses mais plutôt des «agents» religieux, qui produisent des discours sur l’éthique religieuse et sont pris dans des logiques de surenchère liées à la compétition commerciale du «halal». Ils trouvent un écho auprès de millions de consommateurs, qui ne connaissent pas les procédés de fabrication, et confondent sévérité des règles avec garantie d’authenticité.

Le marketing et le radicalisme musulman sont en phase, l’un, au nom de la «segmentation», l’autre, de la «pureté», dans la formation d’une «marque» halal qui s’appose sur tout et n’importe quoi, en vertu de supposées règles islamiques toujours plus strictes qui réduisent progressivement l’espace alimentaire et identitaire musulman. Le contrôle social est parfois tel que celui qui ne mange pas halal est suspect de relâchement religieux, même s’il préfère un poulet «bio» à un poulet de batterie «halal» abattu dans des conditions affreuses pour l’animal comme pour l’homme. Ce phénomène existe parfois chez les écoliers qui n’échangent plus les bonbons, devenus suspects.

Mais que valent ces quelques ratés de l’intégration en regard des bénéfices de grandes entreprises françaises qui exportent massivement du halal vers les pays musulmans ? Même si nous parlons ici d’un phénomène mondial et mondialisé, les formes sournoises de radicalisation ne viennent pas uniquement de l’argent étranger, elles peuvent, même «Made in France», être exportées vers l’étranger.

Cette surenchère est en train de se retourner contre les industriels car le halal business a produit ces nouveaux entrepreneurs de morale, blogueurs, et groupes de «consommateurs musulmans» qui s’activent à «moraliser» le marché en organisant d’agressives campagnes contre ce qu’ils nomment le «faux» halal. Ils s’attaquent à des contrats de millions d’euros en faisant pression sur les consommateurs de pays musulmans afin que ces derniers exigent telle agence de certification française plutôt que telle autre. Le business du halal n’est pas la poule aux œufs d’or rêvée, mais peut s’avérer être une redoutable machine à financer des idéologies religieuses.

Le marketing halal nourrit des formes de radicalité, favorise la nomolâtrie – l’adoration des normes – et celles de la pureté alimentaire. Si le but recherché est de favoriser un islam antidote au radicalisme, alors l’argent du marché halal n’est pas la solution… mais plutôt un problème. La neutralisation des idéologies radicales passe aussi par le desserrement de la contrainte alimentaire. Le consumérisme halal est récent, il n’est pas une «habitude culturelle», mais un épisode de clôture de l’espace alimentaire musulman comme il y en a eu beaucoup dans la longue histoire de l’islam. Cet espace peut s’ouvrir, cela avait été le cas, au début du XXe siècle, lorsque l’une des figures emblématiques de l’Islah (le réformisme musulman), Muhammad Abduh, avait, en 1903, tenté de rapprocher Orient et Occident en ouvrant l’espace alimentaire musulman. Qui s’en souvient ?

Ouvrage à paraître en 2015 : «les Sens du halal», Paris, éditions CNRS Alpha.

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