Le Président Macron, en donnant les grandes orientations de sa « stratégie de lutte contre l’islamisme et contre les atteintes aux principes républicains » a évoqué notamment la volonté de « favoriser une meilleure structuration du culte musulman par le levier de son financement » notamment par le contrôle des « structures de gestion de l’économie de l’islam ». Par ce langage administratif, c’est la perspective de mise en place d’une taxe ou d’une certification halal avec le soutien de l’Etat qui est annoncé. Or le halal, qui vise à distinguer le pur de l’impur, est un des meilleurs outils pour favoriser le séparatisme. Vouloir en faire un axe stratégique de la lutte contre l’islamisme est donc malvenu
L’association musulmane pour l’islam de France (AMIF) milite pour la certification. Ses représentants expliquaient récemment devant une commission d’enquête sénatoriale qu’il s’agirait de faire avec le halal « à peu près exactement la même chose » que pour le casher : soutenir les activités du culte grâce à un prélèvement sur le halal. Que l’AMIF se propose ainsi de jouer le rôle d’accréditeur, c’est-à-dire de « certificateur des certificateurs » halal, moyennant une redevance qui serait ensuite, une fois le service rémunéré, redistribuée au culte est une chose. Que le gouvernement s’engage dans cette voie serait lourd de conséquences à terme.
Pourquoi ? Parce qu’il est trompeur de faire croire qu’on puisse faire avec le halal ce qui a été fait pour le casher en d’autres temps et d’autres circonstances ; parce qu’un tel projet pourrait renforcer l’emprise des courants les plus rigoristes ; parce que l’appui de l’Etat au halal pourrait favoriser le développement d’écosystèmes séparatistes, incompatibles avec les principes républicains.
Le halal n’est pas le casher
La référence au casher précise ici ce que l’AMIF a en tête. Les musulmans d’aujourd’hui serait les juifs de 1791 auquel la France accorda la pleine citoyenneté et l’égalité des droits. Or cette formule est trompeuse puisque aujourd’hui les Français de confession musulmane sont des citoyens comme les autres. Elle a pour but de légitimer une opération concordataire.
Le marché du halal est une créature récente, il s’est développé dans les années 80 lorsque sous la poussée religieuse rigoriste, et non sans intention protectionniste, les Etats musulmans ont commencé à exiger des garanties de pureté religieuse de la marchandise importée des pays non-musulmans. A cette époque l’Organisation de la Conférence Islamique rêvait d’un marché commun islamique.
En France, aujourd’hui, le marché de la certification halal est libre : n’importe qui peut se déclarer agent de certification halal, qu’il soit ou non religieux. L’AMIF prétend pouvoir certifier ces agences de certification, et en retirer une contribution financière pour subventionner le culte. Soit l’AMIF fait preuve d’une grande naïveté économique en imaginant que, spontanément, les industriels de la viande vont payer pour faire accréditer une marchandise qu’ils vendent ou exportent déjà. Soit l’AMIF a une idée derrière la tête : obtenir de l’Etat le monopole de l’habilitation des sacrificateurs. L’AMIF pourrait ainsi contrôler l’abattage halal et rendre difficile l’accès d’un abattoir à une entreprise qui ne ferait pas certifier ses produits par une agence accréditée AMIF.
Une emprise normative et financière sous le contrôle d’une seule organisation
La filière viande et produits carnés ne manquera pas de s’opposer à ce monopole … A moins que ses clients français ou étrangers ne les y obligent. Car l’AMIF pourrait sortir une autre carte. Son autre tête, la partie cultuelle dont un nombre de membres sont proches des Frères Musulmans, souvent de redoutables hommes d’affaire et qui nourrissent un projet politico-religieux, pourrait passer un deal fraternel avec des agences de certification proches et avec certains pays importateurs afin d’inciter les acheteurs étrangers à exiger de leur fournisseur français une marchandise accréditée AMIF.
Par le biais du marché, l’AMIF 1901 pourrait donc capter une bonne partie de l’argent du halal, pendant que l’AMIF 1905 imposerait une norme halal rigoriste et extensive, avec la bénédiction de l’Etat laïque.
L’AMIF pourrait ensuite prétendre contrôler d’autres secteurs du halal : agro-alimentaire, cosmétique, tourisme et hôtellerie halal comme cela s’est produit en Espagne avec l’Instituto halal, une émanation du Conseil Islamique d’Espagne, qui prétend aujourd’hui contrôler le halal en Espagne et dans la plupart des pays hispanophones.
L’AMIF pourrait ainsi par le halal affirmer son emprise financière et normative sur l’islam de France. L’AMIF a théoriquement vocation à organiser un islam de France, dont les valeurs seraient compatibles avec la République, or ce à quoi s’indexe la norme halal négociée sur les marchés internationaux ne sont pas les lois de la République, mais les interprétations disponibles du Coran et de la Sunna. Ces interprétations sont fournies pas les seules tendances capables de traduire cette tradition religieuse plurielle et pluri-séculaire en obligations pour la machine industrielle : les composantes fondamentalistes, communautaristes et islamistes, de l’islam.
Un risque élevé de favoriser le développement d’un écosystème halal séparatiste et déstabilisant pour l’économie
L’extension presque illimitée du champ du halal s’appuie sur un procédé simple, inventé en Malaisie, qui s’est déployé sur toute la planète. Chaque fois qu’on déclare une chose interdite selon l’islam -« haram »- les acteurs économiques en fabriquent pour les « consommateurs musulmans », une version licite :« halal ». Ainsi le champ du halal peut-il s’étendre à un nombre croissant de secteurs marchands par innovation et surenchère normative.
Des solvants contenant de l’alcool sont utilisés dans une usine d’embouteillage d’eau minérale ? Parce que cela pourrait laisser des traces d’alcool dans l’eau, une entreprise concurrente communiquera sur l’utilisation de solvants non alcoolisés et commercialisera seson produit avec un label halal. Le bikini est rigoureusement illicite ? Une entreprise invente le burkini. Ainsi s’étend le marché.
L’écosystème halal doit permettre au « consommateur musulman » de vivre dans l’espace du halal, sans jamais rencontrer de produits, médias ou services illicites, cet illicite étant défini par le jeu du marché et une surenchère normative rigoriste. Les plus grandes firmes se mettent donc au halal pour nourrir, vêtir et soigner les cette nouvelle espèce de l’humanité « le consommateur musulman » avec un argument qui ferait rire s’il n’était employé très sérieusement par les marchands cyniques : « lutter contre les discriminations ». On se souvient de l’affaire du hijab running de Decathlon, qui avait certes abouti au retrait du produit incriminé, mais fait de la firme personnalisée par « Yann » son community manager, le héros de la diversité et la tolérance, quand bien même il avait surtout travaillé à faire la publicité d’une interprétation fondamentaliste discriminatoire qui ne conçoit la femme musulmane que voilée.
Conclusion et recommandations
Si des acteurs privés comme l’AMIF ont le droit d’organiser l’islam de France, le soutien, l’appui et la reconnaissance d’une telle initiative par l’Etat iraient à l’inverse de ce qui est recherché. Car le problème de l’organisation de l’islam en France est moins financier que normatif. Il n’est pas clairement établi que le problème du culte musulman soit lié à sa dépendance à l’égard des financements étrangers. Et surtout la question de la provenance de l’argent a moins d’importance que les mains dans lesquelles il tombe et les canaux par lesquels cet argent arrive. Le marché halal diffuse une norme fondamentaliste et favorise naturellement les salafistes communautaristes et les promoteurs de l’islam politique. Il n’a que faire des valeurs républicaines. Si l’objectif du gouvernement est de lutter contre le séparatisme, investir sur la certification halal serait une faute.
Source : https://www.marianne.net/debattons/tribunes/comment-l-economie-halal-favorise-le-separatisme
Publié le 27/02/2020 à 12:49 sur marianne.net
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