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Réponse à Haoues Seniguer par l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche (HDR) CNRS

Dernière mise à jour : 22 août






La revue Mizane a publié un entretien avec Haoues Seniguer intitulé « Le frérisme et ses réseaux, « un essai saturé de jugements de valeur » dans lequel elle entend faire « évaluer » la valeur scientifique de mon ouvrage. Le politiste, qui s’était déjà fait remarquer au mois de février à la tribune de Musulmans de France1, s’est prêté à ce jeu de massacre dans une revue connue pour diffuser des thèses fréristes2

Voici la réponse de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche (HDR) CNRS : 

Puisque c’est la seule critique que je possède à ce jour, qu’elle provient d’un maître de conférence à Sciences Po Lyon, et qu’elle tourne dans les milieux académiques, j’y réponds. Cela me permettra d’illustrer ce que j’ai écrit dans mon livre : même si on se prétend critique de la confrérie et de son idéologie -comme c’est le cas d’Haoues Seniguer – quand on nie le plan (la dimension « P » du tryptique Vision Identité Plan que j’expose dans mon livre), on place le frérisme dans l’angle mort de la connaissance, pire, on prend le risque de le servir. 

Le texte de 37 000 caractères de mon contradicteur est touffu et parfois répétitif. Je propose donc de procéder à un élagage qui permettra de l’alléger des éléments qui n’ont rien à faire dans un texte dont la prétention est de donner une leçon de science (cf. le titre). 

Je distinguerai ainsi :

– la sophistique contenant des éléments de discrédit (argument d’autorité, dénigrement, atteinte à la réputation, accusation en débilité, en manipulation) 

– de la réfutation « simulée » qui ne respecte pas le cadre théorique et conceptuel de l’auteur

– de la réfutation.

Je vais d’abord traiter des éléments de sophistique. Cela permettra de montrer comment le rédacteur de ce texte tente de disqualifier et de discréditer tant le livre que son auteure. Chaque fois que la faiblesse de ses arguments contre l’ouvrage, transpire, il s’en prend à l’auteure du livre, dénonce des intentions et des postures hostiles, complotistes et même racistes, à l’égard des musulmans, 

Je finirai par une réponse aux deux arguments de réfutation valable.

1-Sophistique, discrédit, accusations et arguments d’autorité…

Tout au long de son texte, le politiste se disant soucieux de donner une leçon de « science », utilise les registres de l’émotion, la diversion, le chantage au racisme, le doute, la victimisation, afin de discréditer le livre -qualifié de libelle, i.e. écrit satirique, insultant et diffamatoire-, et de disqualifier son auteure.

La charge du contempteur est si constante et si bien distribuée du début à la fin du texte qu’elle parait avoir été inspirée par un sentiment de fureur. 

  1. L’ouvrage «  relève davantage de l’essai, de l’opinion et du libelle, que de la science et de l’analyse à proprement parler » ; 

  1. « Notre collègue dit faire l’objet de menaces de mort ; elle fait de ces menaces « une ressource médiatique » ; 

  1. Elle empêche « la controverse scientifique et publique (….) par ses emportements et ses reproches à l’égard de nombreux académiques cités dans le livre » 

  1. « Serait-ce en raison de mon islamité ou de mon patronyme que je serais en l’espèce suspect de frérisme ? »

  1. « Peut-on travailler sérieusement sur un objet qu’on ne fréquente pas ou plus ? Ce me paraît fort improbable. ». 

  1. « FBB aurait sans doute gagné à vérifier un certain nombre d’allégations qui, cumulées, finissent par mettre en évidence des failles et des incohérences saillantes sur le plan du raisonnement » 

  1. « Je ne reviens pas sur les failles méthodologiques béantes ». 

  1. « A mon sens, ce livre ne remplit absolument pas les critères requis de l’enquête empirique, et des réquisits des sciences sociales de façon plus générale ». 

  1. « Ici, on se situe clairement au moins dans une panique morale caractérisée, au plus dans la pure fantasmagorie qui confine à l’aveuglement spécieux ».

  1. « L’enquête est entièrement à charge ». 

  1. « Elle ne prend pas soin de vérifier ses informations ».

  1. L’accusation de complotisme est bien présente grâce à un syllogisme grossier : « Le livre n’est pas en soi complotiste mais comporte des élans conspirationnistes. Les idées qui y sont développées n’immunisent absolument pas contre le complotisme. Bien au contraire. » 

  1. Prendre le bras d’un ennemi pour taper sur un autre est une tactique de division. Ici il s’agit de dévaluer l’auteure par le préfacier en inventant de toute pièce un scénario : « C’est FBB qui a sans doute cherché à crédibiliser son livre en proposant à Gilles Kepel de le préfacer. Il a accepté, c’est sa liberté. En revanche, je ne suis pas du tout certain que ce dernier soit véritablement ravi que son nom et sa réputation soient mêlés à ces polémiques et passions que l’ouvrage suscite dans les médias, et qu’entretient et alimente, parfois de manière malhabile, la chercheuse ».

  1. « FBB peut penser le plus grand mal de l’islamisme et du frérisme, militer comme elle le fait » 

  1. « ce livre est avant tout un essai, une « compilation orientée » de ce qui existe déjà sur le sujet de l’islamisme ». 

  1. « Cet essai (…) est saturé (….) de jugements de valeur à sens unique, autrement dit ouvertement dépréciatifs » ».

  1. «  La définition du frérisme proposée dans ce livre est, en effet, tellement extensive qu’elle en devient inopérante, ou, à tout le moins, stigmatisante »

Le lecteur peut ainsi voir dans quelles dispositions d’esprit le politiste entend porter une « critique évaluative » de mon livre.  S’il semble l’avoir lu, ou au moins en avoir consulté quelques passages (sa critique se concentre essentiellement sur l’introduction et la conclusion), avoir repéré deux coquilles effectivement présentes dans le livre3, il ne semble pas en avoir compris l’armature générale, le cadre conceptuel, les éléments de définition autour de l’axe central : Vision, Identité, Plan de ce que j’appelle le système-islam. Il tape donc de-ci de-là, là où il peut. 

2-Propositions ayant l’apparence d’une réfutation 

J’appelle propositions « ayant l’apparence d’une réfutation », les arguments mobilisés en dehors du cadre proposé par l’auteur pour défendre sa thèse. 

En principe, une réfutation a pour but de contrer une argumentation, c’est-à-dire l’ensemble des arguments mobilisés pour convaincre du bien-fondé d’une thèse. Cette thèse émane d’un point de vue. Un point de vue n’est jamais scientifique en tant que tel, ce qui l’est c’est la démonstration qui doit suivre un certain nombre de règles, notamment celle de la réfutabilité. Ma thèse est réfutable et même falsifiable au sens poppérien4, mais ici elle n’est ni réfutée ni falsifiée. 

Pour réfuter selon les règles de l’art, le réfutant doit en premier lieu montrer qu’il a compris la thèse de l’auteur et ce que ce dernier entend montrer. L’enseignant chercheur de sciences Po se moque de cette étape et procède à un dépeçage sans méthode.

On trouve donc une série de critiques administrées hors de tout cadre, appuyées sur des citations sorties de leur contexte.  C’est moins une opération de falsification, qu’une opération frauduleuse destinée à imposer ses vues en écrasant celles de son contradicteur (les miennes). 

  1. Des passages du livre sont tronqués comme par exemple ici :Ce qui, en revanche, est plus grave du point de vue moral et social, est de dire, sans retenue, que « le frérisme accompagne le jihad guerrier » (p. 32) ; Or ce que j’ai écrit est bien différent : « le frérisme accompagne le jihad guerrier, qui harcèle et terrorise, d’un projet intellectuel… »

Cette phrase tronquée permet de me faire dire ce que je n’ai jamais écrit et de m’attribuer des propos confusionnistes : «tout frériste réel ou supposé cautionne et justifie de facto le djihadisme… ».

  1. « A la lecture, on hésite effectivement entre perplexité et consternation, a fortiori quand on connaît le pouvoir d’influence limité, qui n’est de toutes les façons en aucun cas un pouvoir d’injonction, des Frères musulmans européens en général et français en particulier.

Pourquoi ? 

Elle écrit d’abord que le frérisme est une sorte de déclinaison européenne de l’islamisme, pour ensuite soutenir, en somme, que ce que les islamistes en contexte majoritairement musulman, arabe singulièrement, ont été incapables de réaliser, à savoir le califat, les fréristes, eux, seraient, en Europe, désireux et en mesure de l’accomplir, sous la forme d’une société islamique mondiale. Et des preuves factuelles, concrètes de ce projet, il y en a peu, voire pas du tout ».

H.Seniguer prétend que le pouvoir d’influence des Frères est limité. Il pense que les Frères européens ne peuvent de toute façon pas réaliser ce que les islamistes des pays musulmans ne sont pas parvenus à établir : le califat.  Il ne tient nullement en compte des preuves accumulées -attestées par de nombreux ouvrages signalés en notes de bas de page et en bibliographie- soulignant la volonté des Frères d’instaurer à terme une société islamique en Europe. Il n’a pas vu, ou ne veut pas voir ici – pas plus que dans mon précédent livre le Marché halal ou l’invention d’une tradition (Seuil, 2017)– la volonté de créer un cadre normatif halal permettant de rendre la société charia-compatible avant qu’elle ne devienne éventuellement islamique. 

  1. Yûsuf al-Qaradhâwî (1926-2022), lequel est présenté en une espèce de Deus ex machina, omniscient et omnipotent ; en ce sens que ce dernier, en mentor patenté du frérisme, aurait absolument tout planifié, et même prévu la conquête islamiste annoncée…aucun extrait d’entretien avec des « fréristes » notoires, de France et de Navarre, ne vient étayer un tant soit peu ce préjugé. Pourquoi, en effet, ne pas avoir vérifié ses vues, en interrogeant les premiers concernés sur leurs rapports à l’héritage de Hassan al-Banna et Yûsuf al-Qaradhâwî ?

Ou encore, 

« pourquoi ne pas convoquer des extraits de discours du temps présent, ne serait-ce que ceux publiés sur les réseaux sociaux et sur son site Internet, par la fédération dite « frériste », Musulmans de France (anciennement Union des organisations islamiques de France) ? » 

Je rapporte et analyse le plan et les priorités du « mouvement islamique », les domaines d’action, la jurisprudence de l’équilibre et son art de la ruse, l’organisation politique par segments de population, la stratégie du juste milieu de Qaradhâwî à travers ses propres écrits. Mais l’auteur prétend que je n’aurais décrit qu’un deus ex machina omniscient et omnipotent, ce que je n’ai ni écrit ni pensé. Libre à lui de réduire en quelques mots ce que j’ai développé dans un chapitre entier. 

Pour vérifier le plan de Qaradhâwî, Haoues Seniguer suggère d’organiser des entretiens auprès de « fréristes notoires » (sic) (alors que la confrérie est secrète et que tout Frère patenté nie l’être) tout en doutant du caractère « frériste » de la vitrine des Frères : Musulmans de France (anciennement Union des organisations islamiques de France).

Soulignons au passage que si l’enseignant-chercheur procède ainsi avec une confrérie secrète, il a moins de chances d’être informé par elle qu’utilisé comme porte-plume. 

Je raconte dans mon livre que, quand j’ai commencé mes enquêtes auprès des Frères au début des années 1990 (le critique, alors âgé d’une douzaine d’années, n’a pas connu cette époque), il m’a fallu plusieurs mois pour comprendre l’usage que les Frères faisaient des étudiants et chercheurs pour augmenter leur capital relationnel, social et culturel. Ceux qui ne jouaient pas le jeu étaient exclus au prétexte de « racisme » (cf. pp. 28-30). 

De façon générale, l’enseignant-chercheur devrait savoir qu’on ne demande pas aux interviewés de valider des hypothèses scientifiques, on teste ses hypothèses auprès d’eux ce qui est différent. La tendance relativiste qui consiste à faire valider la connaissance par les interviewés a largement participé à occulter le plan frériste. C’est un travers récent des sciences sociales auquel je consacre deux chapitres de mon livre (notamment, le frérisme et ses alliés en sciences sociales, les thèses du déni de l’islamisme, le frérisme et l’anthropologie, les anthropologues classiques Geertz et Gellner, le tournant asadien : pourquoi des anthropologues préfèrent le salafisme).

  1. « Or l’utopie califale, même chez des islamistes légalistes évoluant en contexte majoritairement musulman conservateur à l’instar d’Abdelillah Benkirane au Maroc, a été largement abandonnée. »

L’auteur utilise la terminologie d’« islamistes légalistes » propre au politiste François Burgat et à ses suiveurs, qui désigne des islamistes prêts à passer du côté de la démocratie, par abandon de l’utopie califale. Je démontre dans ce livre que quand bien même certains islamistes le souhaiteraient – ce qui est rarement démontré-, leur volonté d’abandonner le primat de la charia les ferait sortir de l’islamisme, ipso facto. Je consacre un chapitre à montrer comment cette croyance d’un islamisme sans charia a participé, elle aussi, très activement à l’occultation du projet frériste. 

  1. Aussi, les « fréristes » seraient-ils censément capables de faire, dans le contexte européen où ils ne disposent d’aucun pouvoir ou même de relais institutionnel significatif, ce que leurs homologues, avec des partis de masse, ont été incapables de réaliser au pays du Commandeur des croyants ou bien encore au sein de régimes où l’islam est religion d’Etat ? Ici, on se situe clairement au moins dans une panique morale caractérisée, au plus dans la pure fantasmagorie qui confine à l’aveuglement spécieux.

La faiblesse de l’argument entraine toujours son auteur, démuni, vers l’anathème. Il est de mode d’accuser le contradicteur auquel on ne peut rien opposer d’être sous l’emprise d’une « panique morale ». Ce que le politiste ne saisit pas, c’est que le frérisme en utilisant soft power et soft law dans les sociétés sécularisées européennes multiculturelles et inclusives (je développe ces points dans deux chapitres), contournent le politique, passent par le culturel et l’économique (marché halal) évitant autant que possible la confrontation avec les États. L’entrisme est bien mieux adapté à l’environnement européen où l’islam est une religion encore mal connue et comprise dans ses déclinaisons et spécificités5 que dans les pays musulmans où les techniques d’islamisation par le bas des Ikwhan sont connues depuis près d’un siècle.

  1. En outre, plutôt que d’analyser l’islamisme et le frérisme in situ, à partir de données de terrain contemporaines accumulées, renouvelées et actualisées, FBB l’étudie au prisme principal de textes fort anciens, généralement non datés, de théoriciens étrangers au champ islamique européen. 

Qaradhâwî qui a présidé longtemps avant son décès en 2022 le Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche, n’est ni ancien ni étranger au champ islamique européen, bien au contraire.  Ce que j’analyse provient de données collectées directement au long de plusieurs années, de centaines de sources citées référencées dans 437 notes de bas de pages, et listées dans une bibliographie fournie.  

  1. FBB fait de la wasatiyya la marque déposée du frérisme ; ceci contredit les travaux réalisés en arabe par l’intellectuel égyptien, Nasr Hamid Abou Zayd (1943-2010), peu suspect de collusion avec l’islamisme, loin s’en faut. Ce dernier explicite avec force arguments que « l’idéologie du juste milieu » tire son origine la plus probable de l’œuvre du juriste-imam-théologien, al-Shâfi’î (767-820).

Cette objection est fallacieuse. Je n’ai jamais écrit nulle part que la wasatiyya était la « marque déposée » du frérisme uniquement. 

  1. H.Seniguer conseille de se référer aux objectifs précisés sur le site de « Musulmans de France », comme si ces derniers reflétaient non pas la communication de la fédération, mais ce qu’elle pense réellement. Il ajoute prudemment, cette phrase d’anthologie:

On n’est certes pas obligé de croire sur parole les membres de l’organisation en question, mais, dans ce cas, il faudrait être capable d’apporter la preuve du contraire, ce que ne fait justement pas FBB. 

Il faudrait donc soit prendre les justifications des acteurs comme un donné, soit prouver qu’ils mentent. Voilà d’un coup radiées 150 années de sociologie.

3-Réponse à ce qu’il reste

La critique de l’auteur se concentre essentiellement sur les deux parties d’introduction et de conclusion dans lesquelles 1/ j’annonce ce que je vais démontrer à partir d’un problème sociétal (le frérisme) et 2/ ce que je suggère pour tenter de le résoudre une fois que la démonstration a été déroulée tout au long des chapitres. 

L’enseignant chercheur me reproche de ne pas produire une analyse « froide ». 

Dans ce livre, je prends effectivement position, uniquement en introduction et en conclusion, les 10 chapitres étant consacrés à la démonstration. 

Pourquoi considère-je le frérisme comme un système d’action dont il faut limiter l’influence ? Parce que le frérisme cherche à imposer dans les universités une forme d’islamisation de la connaissance (islamization of knowledge) c’est-à-dire une connaissance qui se déploierait uniquement dans les limites du cadre islamique. 

Je prends position contre ce projet car son avènement est incompatible avec le métier de scientifique. Il me semble logique que le chercheur ne soit pas soucieux seulement d’appliquer la science, mais d’en assurer aussi les conditions de possibilité et de reproduction. 

  1. Le politiste écrit :

« En fin de compte, de deux choses l’une : participer à la vie sociale et politique en musulman ou en tant que musulman, c’est courir le risque d’être accusé d’entrisme, en recourant à cet égard à « la ruse », etc. Rester à l’écart de la vie publique, en conservant toutefois un attachement visible à l’islam, c’est se voir traité de « séparatiste ». (…) Derrière le frériste se trouve in fine le musulman observant, attaché à un titre ou à un autre à la norme islamique, et derrière ce dernier, un frériste qui sommeille, voire un djihadiste en puissance »

Ou encore 

« Autrement dit, tout acteur musulman, réel ou présumé, qui s’exprimerait de façon critique sur des politiques publiques en direction de l’islam et des musulmans, ou contre l’islamophobie, est susceptible d’être accusé de frérisme »

Il me reproche de considérer que participer à la vie sociale et politique « en musulman ou en tant que musulman » (sic) est un problème : en ce sens je ne peux pas le démentir. Participer à la vie sociale et politique en se revendiquant d’une autre citoyenneté que celle de l’Etat, c’est comme vouloir jouer un jeu dont on annonce qu’on respectera les règles d’un autre.

La citoyenneté musulmane n’existe pas en République française, ce qui existe c’est la citoyenneté française qui donne des droits et attribue des devoirs à chacun, nonobstant ses croyances, ses valeurs, ses pratiques religieuses ou philosophiques. 

L’auteur me reproche de penser que l’attachement visible à la norme islamique soit une forme de séparatisme : là encore je ne le contredis pas. Normes et valeurs communes sont l’horlogerie de la cohésion nationale. 

Il conteste aussi que l’on puisse considérer que derrière un frériste puisse se cacher un jihadiste.  Pourtant le frérisme partage avec le jihadisme sinon le moyen au moins le but califal. Mais le politologue a choisi d’ignorer la chaine de responsabilité qui peut exister entre une organisation frériste et le meurtrier qui décapite, comme cela s’est passé dans le cas du professeur Paty. 

  1. « On a le sentiment constant que les acteurs sociaux sont incapables de changement, d’évolution, et qu’ils sont au contraire invariablement dans un calcul, de surcroît perfide. C’est pourtant souvent le cas. L’endoctrinement salafi, diffusé par le frérisme à travers de nombreuses maisons d’éditions francophones, invite chaque musulman à des pratiques et des invocations les plus fréquentes possibles à chaque âge, période ou événement de la vie. Des applications diffusent des rappels quotidiens. Par le biais de livres, de vidéos diffusés par les nombreuses librairies, les fidèles sont invités dès le plus jeune âge à organiser leur quotidien autour de la norme halal, à s’inscrire dans la ligne qui va du passé des pieux anciens au futur de la société islamique. Cet endoctrinement est si contraignant qu’il peut induire des comportement calculés et hypocrites.

Le politiste nie cette dimension de conditionnement psychique et physique, qu’il ne peut pas ignorer, préférant accuser celle qui la rapporte d’intention complotiste et catastrophiste : « l’une des caractéristiques du complotiste, est sa vision résolument catastrophiste. En d’autres mots, le péril est là, à nos portes, mais seule une poignée d’éveillés le verrait ».

  1. H.Seniguer écrit : « tout discours contestataire et critique venant de milieux musulmans comme non-musulmans émis à l’égard de politiques publiques ou d’opinion ayant vocation à traiter, à parler de l’islam et de la présence musulmane, pourrait être interprété, a priori ou a posteriori, comme une justification de la violence physique ».

Il soutient que, si l’on adoptait ma thèse, les propos de tous ceux (qu’ils soient musulmans ou non musulmans) qui tiennent un discours contestataire ou critique à l’égard des politiques publiques dans le but de défendre les musulmans, pourraient justifier la violence physique contre les musulmans. C’est évidemment une accusation gravissime et totalement infondée, qui impute à mon livre des intentions criminelles.

Cette technique est celle des organisations de lutte contre l’islamophobie (une des activités centrales des Frères de la deuxième génération en Europe) qui ont fait de ce soupçon une arme redoutable : l’accusation d’islamophobie structurelle empêche une société de se défendre contre l’islamisme. Venant de l’université, de la part d’un chercheur qui reçoit son salaire des contribuables, c’est une infamie. 

Conclusion 

Depuis plusieurs décennies, les sciences sociales en France on fait une large place à la théorie de l’islam politique légaliste, se laissant aller à imaginer un islamisme européen compatible avec la démocratie. 

Pour s’imposer cette théorie a criminalisé toute autre vue. Elle l’a fait sans rencontrer de réel obstacle car personne n’osait véritablement affronter et contredire une thèse rassurante. Le frérisme s’est imposé notamment par le verrouillage de la critique, et l’interdiction de penser la dimension programmatique de la doctrine sous peine d’être accusé d’islamophobe et de complotiste. 

En mettant au jour cette dimension, mon livre a déclenché la fureur.

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