Dans une lettre adressée au président de l’Algérie et publiée sur le site de Marianne, 64 personnalités dont Florence Bergeaud-Blackler demandent la libération de l’écrivain Boualem Sansal. « Faites en sorte que Boualem Sansal s’assoie à nouveau, après avoir retrouvé sa liberté, derrière son bureau afin qu’il écrive, encore et encore, et toujours », plaident-ils.
Tribune rédigée par notre fidèle chroniqueur Daniel Salvatore Schiffer à quatre mains avec Elie Chouraqui.
Ils ont embarqué avec eux 62 intellectuels et artistes majeurs, ce qui en fait aujourd’hui la mobilisation la plus importante au monde à ce douloureux sujet.
Il n’y a pas là, dans ces quelques mots, de politique, Monsieur le Président. Non ! Il n’y a pas là, dans notre cri, de jugement porté contre votre pays ni contre quiconque en Algérie. Il n’y a pas de colère, pas de haine, pas d’appel à la brutalité, ni de véhémence. Pas de souvenir d’un passé ressassé, lointain qui laisse de chaque côté de notre Méditerranée le goût de la tristesse et du gâchis. Il n’y a là, ni appel à la sécession, ni de vociférations. Il n’y a là, ni cris de haine ou de flatterie indécente. Non ! Il n’y a là que quelques mots que nous, artistes, écrivains, philosophes et intellectuels français, espérons que vous entendrez.
Il s’agit de Boualem Sansal, Monsieur le Président. Mais, par-delà son cas personnel, il ne s’agit pas seulement que de lui, puisqu’il s’agit, en réalité, de nous tous. De nous tous, oui ! Nous tous artistes, écrivains et intellectuels, qui devons, quelles que soient nos opinions, quelles que soient nos idées, et nos manières de les exprimer, être artistes, écrivains, philosophes ou intellectuels. Nous devons pouvoir créer, écrire, réfléchir et penser, Monsieur le Président, filmer, peindre, sculpter ou jouer la comédie, sans contraintes. Nous devons pouvoir faire rire, pleurer, nous moquer, transmettre, sans contraintes. Nous devons pouvoir donner notre point de vue, même s’il ne plait pas à tous, sans contraintes. Sinon, que deviendra le monde ? Un pauvre aveugle marchand sur un chemin de cailloux qui s’enfonce dans la nuit sans même entendre le bruit de ses pas ?
Oui, nous artistes, écrivains, intellectuels et libres-penseurs, ne sommes pas d’accord avec tout le monde. C’est ainsi ! Et cela l’a toujours été ! Et cela le sera toujours ! Alors, traitez Boualem Sansal de fou, oui ! Dites qu’il est imprudent, un ahuri, un illuminé. Affirmez qu’il est trop à droite ou trop à gauche, comme vous le souhaitez ; dites qu’il a tort, si vous voulez, car cela peut être aussi votre rôle de chef d’Etat, de père et d’homme. Mais nous vous en prions, de grâce, ne vous abaissez pas au rang des terroristes sans humanité, qui kidnappent, séquestrent et tuent. Refusez la violence ! Refusez l’arbitraire ! Refusez l’injustice ! Dites, comme Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, que « l’œuvre la plus honorable, la plus digne d’admiration qu’un peuple ou une nation puisse accomplir, c’est de réaliser ses aspirations en agissant dans la discipline et la non-violence ».
Oui, soyez cet homme, si vous voulez, qui dirige son peuple dans la discipline et la non-violence, Monsieur le Président, mais d’une main non moins ferme, autoritaire quoique bienveillante, faites en sorte que Boualem Sansal s’assoie à nouveau, après avoir retrouvé sa liberté, derrière son bureau afin qu’il écrive, encore et encore, et toujours. Car, et vous connaissez bien sûr ce proverbe de votre pays, l’Algérie : Celui qui enseigne le bien aux autres, sans le faire, est semblable à l’aveugle qui porterait une lanterne. C’est précisément là, aussi, notre définition du véritable humanisme, de la fraternité, de la tolérance et de la démocratie.
Bien respectueusement,
Parmi les signataires : Elisabeth Badinter, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Pierre-André Taguieff, Robert Redeker, Florence Bergeaud-Blackler, Bernard Kouchner, Arno Klarsfeld, Hassen Chalghoumi, Guy Sorman, Renée Fregosi, Olivier Weber, Alexandre Arcady, Dominique Schnapper, Jean-François Zygel, Michelle Perrot, Daniel Cohn-Bendit, Catherine Clément, Rachid Benzine…
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