Florence Bergeaud-Blackler répondait aux questions de Dimitri Pavlenko pour Europe 1, le 22 octobre 2024.
Interview à revoir sur le site de Europe 1 ICI, (Script disponible ci-dessous, après la vidéo)
Interview script available in English :
Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le docteur en anthropologie et spécialiste du frérisme, Florence Bergeaud-Blackler.
Votre dernier ouvrage, « Le frérisme et ses réseaux : l'enquête » a paru chez Odile Jacob. Florence Bergeaud-Blackler, l'Iran fait-il de l'influence en France auprès des mouvements de gauche? Je fais mine de poser une question, mais en fait c'est pour la forme, car depuis un an, très clairement, depuis le 7 octobre, les preuves s'accumulent de l'infiltration de l'extrême-gauche française par la République islamique. Le journaliste spécialiste de l'Iran, Emmanuel Razavi, vient ainsi de révéler les liens qui unissent le Parti communiste français et la France insoumise à des mouvements ou des activistes palestiniens, qui sont parfois terroristes, en tout cas sous influence iranienne alors c'est un peu compliqué tout ça. Florence Bergeaud-Blackler : qu'est ce que l'on sait exactement de ces liens qui unissent l'extrême gauche française et la république islamique d'Iran?
Ce lien là effectivement qu'on observe depuis un certain nombre d'années, Emmanuel Razavi le grand reporter l'a montré, et bien il y a un intermédiaire qui s'appelle les fréristes. Le Frérisme est une idéologie issue de la confrérie des frères musulmans qui s'est déployée dans l'espace notamment occidental depuis une quarantaine d'années et qui a créé ces réseaux. Il y a la confrérie des frères musulmans, ensuite un deuxième cercle dont l'ensemble forme les fréristes et puis les alliés, c'est-à-dire la gauche radicale et la gauche woke. Et c'est là en fait que se lient la gauche radicale, la gauche, et l'Iran, qui va finalement utiliser ces réseaux, la façon dont ils se sont déployés dans l'espace, pour à l'occasion, sous le prétexte des manifestations pro-palestiniennes, qui finissent par être des manifestations pro-Hamas, se déployer dans l'espace européen.
Alors puisqu'on fait un peu de théorie, le frérisme il est né dans l'univers sunnite. Les iraniens eux sont des chiites et pourtant vous dites qu'ils partagent cette même idéologie frériste, Florence Bergeaud-Backler?
Oui tout à fait, d'ailleurs quand on regarde l'Ayatollah Khomeini , la constitution de l'état islamique d'Iran, il s'inspire tout à fait nettement des préceptes de la vision de la doctrine des frères musulmans et de Hassan el-Banna et en particulier de Sayyid Qutb. Donc les liens idéologiques sont tout à fait évidents. Après, il y a des intérêts politiques divergents. L'Iran est une puissance militaire, politique, financière, alors que les réseaux dont je parle sont des réseaux beaucoup plus labiles qui traversent les continents. Mais c'est l'occasion pour une puissance comme celle-là, sous le prétexte j'insiste beaucoup, de la cause palestinienne, d'aller investir en fait ces champs-là nouveaux et malheureusement avec beaucoup de succès. Et d'ailleurs il l'assume complètement dans cette vidéo que j'ai postée je crois sur Twitter. On a un député du Hezbollah, alors il s'appelle qui explique à une chaîne russe, Russia Today TV, c'était en juin 2024, qu'il faut compter sur les manifestations en soutien à la Palestine, miser dessus, celles des étudiants musulmans, mais surtout, dit-il, celles des étudiants occidentaux. Car, dit-il, ce sont eux les plus efficaces à déstabiliser leur propre pays. Et il dit, tout à fait naturellement en conclusion, il faut miser sur ces manifestations, car nous devons pénétrer au cœur des sociétés européennes. Donc ils sont tout à fait clairs. Et si on veut bien les prendre au sérieux, ce qu'on n'a pas fait à mon avis suffisamment, nous saurons comment, et à quelle sauce nous allons être mangés.
Alors on aurait pu se dire que finalement, Téhéran misait sur les mouvements d'extrême-gauche français, européens plus généralement, et même nord-américains, enfin occidentaux, dans le but d'affaiblir le soutien qui sera apporté à Israël. Mais vous dites en fait, non ça va au-delà de ça, le but c'est aussi de déstabiliser nos propres sociétés ?
Oui, pour moi c'est clairement un prétexte. Ce qui s'est passé le 7 octobre, ce n'est pas la rue arabe qui se révolte, c'est l'Ouma qui se réveille, c'est pas tout à fait la même chose. Et donc c'est le West Next, c'est d'abord Israël, venir à bout d'Israël et ensuite s'occuper de l'Occident.
Qui sont les poulains aujourd'hui selon vous de l'Iran, de la République islamique d'Iran, dans l'extrême gauche française? Aujourd'hui on pense à Rima Hassan par exemple, figure de la France insoumise. Est-ce que vous diriez qu'elle fait le jeu de l'Iran aujourd'hui?
Oui certainement. Après vous avez des personnages beaucoup plus obscurs qui ont été postés depuis un certain nombre d'années et qui font partie des réseaux fréristes, qui sont des réseaux plutôt dormants ou qui n'utilisent pas la violence, qui font de l'entrisme. L'infiltration est assez profonde dans notre pays, pas que dans notre pays, c'est vrai aussi des pays européens, dont dans tous les grands corps de l'État, on va les rencontrer, mais surtout, surtout, surtout dans les universités. Dans le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Justice, dans les comités scientifiques de formation de ces corps de l'État, on va retrouver des personnages qui sont assez gris, dirais-je.
Et puis surtout, puisque comment ils agissent concrètement, ils ne s'adressent pas directement à la base, mais à des influenceurs. C'est-à-dire qu'ils vont mobiliser des influenceurs, des journalistes, des universitaires,des présidents d'associations, ils vont essayer de leur infuser la cause qu'ils défendent à travers un langage révolutionnaire, entre la gauche révolutionnaire, l'antifada, etc.
On a cette polémique, Florence Bergeaud-Blackler, depuis ce week-end, Pascal Boniface, fondateur de l'IRIS, un think-tank de recherche qui traite Karim Bouamrane , le maire de Saint-Ouen, de « muslim d'apparence », il lui reproche en creux de ne pas être automatiquement pro-Gaza et anti-israélien, puisque lors d'un entretien ce week-end, Karim Bouamrane a estimé que la gauche avait tendance à instrumentaliser la cause palestinienne. C'est une manifestation, vous pensez, des effets de cette campagne permanente menée par la République islamique d'Iran en France?
Pas seulement, c'est le discours ordinaire de la thèse de l'islamophobie. J'ai toujours entendu ça à l'université, ce sont des expressions assez courantes, d'utiliser donc le musulman ou ce qu'il pourrait être pour manipuler l'opinion est assez classique. D'autres parlent comme ça à l'université, pour moi c'est pas nouveau.
François-Olivier Gisbert, on terminera là-dessus, Florence Bergeaud-Blackler, avait dans un édito récent parlé de l'émergence d'une gauche iranienne à la remorque des Mollahs, faute de pouvoir miser sur ses anciens modèles, Cuba, Venezuela. Vous achetez cette formule vous de gauche iranienne?
Je ne sais pas, en tout cas je sais que c'est beaucoup plus dangereux que l'époque post-soixanthuitarde. Là, on a un État qui veut renverser, subvertir les sociétés occidentales, et qui fera tout, et qui a un véritable projet, et qui a des bases positionnées partout en Europe. Donc c'est beaucoup plus dangereux que ça, et en particulier, il faut faire du ménage à l'université.
Merci Florence Bergeaud-Blackler. d'être venue ce matin sur l'antenne d'Europe 1. Je renvoie vers vos travaux, résumés notamment dans votre dernier ouvrage Le frérisme et ses réseaux, l'enquête parue chez Odile Jacob.
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