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A propos de l'article de Margot Dazey publié dans la revue de l'IREMAM

BILLET D'HUMEUR


Dans un article de la revue de l’IREMAM (laboratoire associé au CNRS - AixMarseille Université longtemps dominé par les perspectives développées par François Burgat sur l'islamisme) publié dans la précipitation (la revue met habituellement deux ans avant de publier un article déposé), M.Dazet dont Burgat vante les mérites, fait le procès en "non-scientificité" du "Frérisme et ses réseaux". Cet article est un exemple de ce qu'une sociologie relativiste et nihiliste peut faire à la connaissance : l'empêcher.




Il est très difficile sinon impossible de travailler sur la très secrète confrérie des Frères musulmans en Europe, si on n’a pas passé un deal avec elle. De même qu’on n’entre pas dans la confrérie sans avoir été choisi par elle (cf. The closed Circle de Lorenzo Vidino), on n’accède pas à la confrérie, on n’interview pas ses cadres, sans leur donner des gages de bonne tenue. Les Frères n'ouvrent leur porte que si vous leurs êtes utiles, que si vous prenez leur défense, soit en minimisant leur action, soit en soulignant leur compatibilité avec la laïcité et la démocratie séculière (même s’ils la vomissent). De ce point de vue F.Burgat et M.Dazet travaillent moins sur la confrérie qu'au service de ses intérêts, et de son projet intermédiaire de société « charia compatible ».


Dans un article publié dans la revue de l’IREMAM (laboratoire associé au CNRS) en mode express daté de 2024, M.Dazet dont Burgat vante les mérites, fait le procès en non-scientificité de mon dernier ouvrage. Cet article est l'exemple type de ce qu'une sociologie relativiste et nihiliste peut faire à la connaissance : l'empêcher. Je vais donner quelques exemples.


Permettez-moi de préciser au préalable que cet article vient après plusieurs salves d’attaques tentées par des chercheurs de l'IREMAM et d'ailleurs contre mon livre sorti en janvier 2023. La première consistait àprétendre que les Frères musulmans « n’existaient pas en Europe », puis qu’il n’étaient « pas si importants », puis qu’il ne fallait « pas généraliser à tout l’islam » (ce que je ne fais pas puisque justement je ne parle pas d’islam mais de frérisme). Mais comme cela n'a pas fonctionné, cette dernière salve reconnait quand même que les FM existent et qu’ils sont très influents (on a tout de même avancé).


Il a fallu des réunions internes et tout un laboratoire (l’IREMAM), une porte-parole fraichement recrutée par le CNRS à Lille, pour écrire un texte laborieux ayant les apparences de la scientificité pour tenter d'en finir avec « FBB ». La mettre en procès ? Ou lui répondre. Impossible de tenter le procès, pas de pièces à conviction, il faut donc répondre.


Comme je l’ai montré dans mon livre, les Frères musulmans ont créé l’IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) dans le cadre de leur projet européen d’ islamisation de la connaissance (« islamization of knowledge), précisément pour se servir des sciences sociales (surtout quand elles sont déconstructionnistes) et mettre en avant les contradictions internes d’une démocratie occidentale considérée comme irrémédiablement décadente.

Ceci n’est pas questionné ni par F.Burgat ni par M.Dazey qui en reconnaissent pourtant l’existence et l’influence, c’est la question taboue et la pierre angulaire du système d’opacification de la confrérie et de toutes les structures qui lui sont proches.


Que fait M.Dazey quand elle s’en prend à mon livre ? Elle évite de regarder dans la boîte à outils des Frères, leur visée idéologique, leur vision du monde, leur identité suprémaciste, leur projet, ce que j’ai mis au jour en m’appuyant sur des années de recherche et de rares et excellents travaux que d’autres ont fait et qui sont hélas restés dans l’ombre.

Margot Dazey ne parle pas de la chose, elle parle du regard porté sur la chose : elle examine le doigt qui montre la lune. Elle examine ce qu’elle pense être mes intentions et s’arrête à cela. Accrdons-lui qu'elle n’est pas hors sujet d’une sociologie relativiste et déstructuré qui ne s’intéresse pas à la connaissance mais uniquement à celui qui la produit, pour l’encenser ou au contraire le « débunker ».


Pour elle, les choses sont éternellement «problématiques » et « complexes », il ne faut surtout pas en extraire les logiques sous-jacentes car ce serait « essentialiser ». Puisque toute volonté de comprendre et de savoir est politique (du Foucault mal digéré), la volonté de comprendre n’est qu’une série de biais, il faut rester en deçà même de l’hypothèse, en deçà du concept car c’est infliger une violence à l’objet de recherche. Chercher, produire du sens ? est interprété comme un biais d’essentialisation. Comment s’y prend cette science obscurantiste. Elle prend n’importe quel objet d’étude et pour disqualifier l’auteur, l’accuse de biais intentionnaliste, de biais d’attribution hostile, de biais essentialiste , de biais réductionniste. Si, comme dans mon livre, vous attribuez une cohérence volontaire à des acteurs sociaux, vous êtes coupable de biais intentionnaliste, car les acteurs sont nécessairement sans volonté, ou mus par des volontés qui leur échappent. Si vous attribuez une volonté de subversion ou de révolution à des acteurs sociaux, vous êtes coupable de biais d’attribution hostile. Car, selon cette sociologie naïve et victimaire qui fait le jeu de la terreur, les acteurs veulent surtout le bien de leurs prochains. S’ils sont méchants, c’est qu’on leur a fait mal. Si vous attribuez un sens à la rationalité des acteurs vous pêchez par essentialisation, car selon cette sociologie obscurantiste, il n’y a pas de cause commune (ni de sens commun) décelable en dehors du groupe qui la produit, et encore... il est subjectif. Seul l’acteur peut attribuer du sens à ses actions, le sociologue ou l’anthropologue ne sont que des scribes. Si vous n’interviewez pas les acteurs, y compris d’une société secrète, dans le but de leur faire valider votre théorie, vous êtes coupable de réductionnisme. En gros, à ce compte-là, même un travail d’exploration d’un société mafieuse doit être cosigné par le chef de clan pour être valide... La quinzaine de pages que F.Burgat encense n’a pas pour but d’examiner mes hypothèses et le cœur du sujet mais d’étaler sa suspicion à mon encontre et à tous ceux qui chercheraient à décrire de façon claire les stratégies des acteurs étudiés et leurs alliés utiles dont il est (la clarification est le résultat d’années de travail, c’est un effort). La raison de cette attitude vengeresse (le même envoya dès la sortie de mon livre plus d’une centaine de tweets injurieux) est que, dans mon livre sur le frérisme, j’inclus aussi le rôle de certains acteurs des sciences sociales et politiques dans la diffusion de l’idéologie frériste, dont lui-même. La différence avec le débunkage dont je suis l’objet, c’est que mon analyse ne consiste pas à détecter « leurs biais » mais à montrer le rôle de ces acteurs dans le système que j’étudie.


Dans mon livre je n’ai pas parlé du rôle que pourrait jouer une M.Dazey. Ici on peut émettre l’hypothèse que sa critique sur la forme et contre l’auteur - critique qui n’a aucune thèse à opposer- a surtout pour but d’alerter en cas d’intrusion dans le système frériste. C’est toute la puissance de détournement de la théorie de l’islamophobie qui agit sur les étudiants comme s’ils devaient défendre les musulmans contre le mal que le monde leur fait. Pour cette sociologie paresseuse la puissante confrérie des Frères musulmans n’est qu’un amas de musulmans à la fois ordinaires et complexes qui n’ont pas de volonté, qui sont pris par des « contingences » et des « hasards » prioritaires sur toute volonté. Ce n’est pas à moi qu’il faut expliquer que ces dimensions contingentes existent, mais il faudra alors prouver qu’elles sont plus déterminantes que la volonté claire des acteurs.


Les Frères font des plans depuis un siècle car ils sont axés sur la mission qu’ils passent par le politique comme dans les pays musulmans ou par des formes d’influence et de soft power comme en Europe. Cette occultation systématique du plan califal des Frères musulmans en Europe a conduit les études sur l’islam à être remplacées par les études sur « l’islamophobie », un phénomène dont on peut remarquer qu’il s’accroit avec le nombre d’études et de dispositifs qui lui sont consacrés... Les musulmans sont dépeints en victimes pour toujours, en êtres ballotés par une société structurellement raciste, postcoloniale, éternellement coupable dans l’histoire, qui ne peuvent que s’exprimer par une violence qu’on excuse. On fabrique dans nos universités non pas des analyses mais des chiens de garde, des watch dogs, aptes à découper en rondelles toutes tentatives de conceptualisation éclairante pour dénoncer leurs hérétiques auteurs. Oupss j’ai parlé de chiens de garde, sans doute un biais d’animalisation...

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